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Quelques échos du Café-péda

Monique Verrept accueille les participants en imitant Jeanne Pigeon, lorsque celle-ci était co-directrice de « La montagne magique » et qu’elle s’adressait toujours de la même manière douce et apaisante aux enfants : « Bonjour les Amis », induisant automatiquement le silence.

Elle présente alors rapidement les trois intervenants:

    • Jeanne Pigeon: licenciée en philologie classique, diplômée ensuite de l’IAD afin d’entrer dans le monde théâtral. Elle rencontra alors Roger Deldime, avec qui elle créa « La montagne magique »
    • Cali Kroonen: licenciée en philologie romane, enseignante, puis diplômée de l’INSAS. Elle fut directrice de la « Chambre des théâtres pour l’enfance et la jeunesse », avant de devenir directrice de « La montagne magique »
    • Thierry Debroux, instituteur primaire, enseignant, et diplômé de l’INSAS. Acteur, metteur en scène, auteur,… il dirige actuellement le Théâtre Royal du Parc.

Un point commun entre ces trois communicateurs : une formation les menant à l’enseignement et une passion pour le théâtre dont ils firent leur métier. Quoi de plus pertinent pour ce Café-péda « À la croisée de la Culture et de l’Enseignement » !

En prenant successivement la parole, ils développeront tant leurs options intellectuelles  que leurs richesses créatives.

D’emblée, Jeanne se lève, s’anime… s’exprime avec une gestuelle adaptée et une mise en place d’objets choisis. Elle associe le théâtre aux rencontres humaines, aux contacts, aux échanges, à la vie ; la vie qui doit être pour elle un événement, voire un enchantement. Pour évoquer la création, Jeanne Pigeon part du tableau  «Le voyageur contemplant une mer de nuages » de Caspar David Friedrich.

Le paysage est complexe, composé de nuages certes mais aussi de montagnes, de pics….
Le voyageur  regarde d’en haut : rien n’est simple, tout est réellement complexe. « Organum » de Max Richter, musique particulièrement appropriée, incite à la méditation.

 

Du chaos, représenté par une masse de papiers chiffonnés, Jeanne  fait apparaître alors une photo de Roger Deldime, le penseur… le créateur… mais aussi, « son homme », l’homme dont elle fut l’épouse mais surtout la muse.

En 1970, dans un contexte de société ouverte à la nouveauté et aux pédagogies alternatives, émerge l’idée d’une culture épanouissante pour les jeunes avec, notamment, l’émergence du théâtre pour enfants. Notre ogre psychopédagogue, est séduit d’emblée ! Un vrai Big Bang ! Il n’aura de cesse de suivre toutes les créations, de mettre en place des projets avec les enseignants, d’imaginer des recherches expérimentales sur la réception des spectacles par les publics, avec une dynamique internationale de réflexion sur les contextes sociétaux. La création de son Centre de Sociologie du Théâtre à l’ULB est le point d’orgue de cette période.

En 1995, deuxième Big Bang ! Avec la création de La montagne magique, résultat d’un long parcours pratique et réflexif. Premier lieu théâtral permanent pour l’enfance et la jeunesse en Belgique francophone et projet innovant avec deux axes-clés irréductiblement liés : la rencontre des jeunes avec la création théâtrale des artistes et le développement de leur potentiel créatif propre.

L’enfant ne vient pas seul au théâtre ! Il est accompagné. Dans une société à deux vitesses, s’adresser à tous les enfants n’est envisageable que par la médiation de l’école publique, seule capable d’agir en s’appuyant sur ses enseignants. A La montagne magique, un travail sera effectué pour qu’ils soient de meilleurs accompagnateurs, pour que des liens soient créés, qu’un véritable partenariat s’installe.

Pour travailler dans la durée, il fallait un cadre solide. Ce cadre nécessitait un lieu (pas une école mais un lieu empli de mystère), un projet suffisamment poétique ou même réellement « magique » et une équipe porteuse à construire.
Un cadre dans lequel une démarche expérimentale peut se déployer : tout est à inventer.
Et tout est important : le lieu avec ses coins obscurs et recoins secrets, l’accueil chaleureux et dynamique, une présence permanente et rassurante…

Venons-en au choix des spectacles. Ceux-ci sont choisis par la direction et l’équipe. En fonction de critères artistiques et non commerciaux. Il ne s’agit pas de répondre à des demandes formatées, sclérosées, poussives, mais de proposer des nouveautés, de l’inédit, donner le goût de la découverte, stimuler l’esprit. Combattre l’enfermement, rester ouvert aux propositions théâtrales flamandes et internationales.
Ainsi, La montagne magique est née, issue de la tête pensante d’un homme généreux, Roger Deldime, qui voulait rendre la société plus solidaire en éveillant l’esprit et l’intelligence des enfants.

Nous sommes dans la mouvance et l’éthique du théâtre comme service public, la belle idée du Théâtre Populaire de Jean Vilar. Un travail de fond, exaltant mais parfois ingrat, qui requiert une énergie hors du commun.

Le trompettiste Ibrahim Maalouf colore parfaitement les aventures et la vie de La montagne magique. Joyeuse, sensible, gourmande, vibrante, sa chanson Radio Magallanes fait pétarader l’hymne stimulant de La montagne.

A la fin de Radio Magallanes, on entend le dernier discours prononcé par Salvador Allende sur les antennes de cette station, le 11 septembre 1973, juste avant son assassinat. Il sait que sa fin est proche et encourage ses amis à poursuivre le combat pour une vie meilleure.
Aujourd’hui, la Terre prend feu, les cadres explosent, la violence déchire la société… Nous sommes fortement chahutés, chamboulés. Les inégalités sociales sont criantes.
Dans son dernier ouvrage « Faire réussir la France » (novembre 2021), Jacques Attali propose des réformes majeures pour construire l’avenir, « un projet d’ensemble pour vivre ensemble » où l’enseignement et la culture sont des moteurs vitaux. Il y revendique notamment l’importance de l’accès à la culture pour tous, le développement de connaissances et de pratiques artistiques dès la petite enfance et l’école primaire.

Une conclusion illustrant que La montagne magique a joué un rôle précurseur et qu’aujourd’hui, son action est essentielle pour rêver un futur.

Depuis six ans, Cali Kroonen a pris la relève des fondateurs (Roger Deldime et Jeanne Pigeon), et situe sa direction dans le prolongement, en considérant que « La Montagne magique » est un « projet en mouvement ».

Et à La montagne…, tout est possible !

Une équipe, dont les personnages essentiels sont toujours présents mais qui a pu s’étoffer de nouveaux  talents.
Un lieu : cette maison pour laquelle Cali eut réellement un coup de cœur architectural, cette maison avec ses escaliers, ses chambres secrètes, ses fantômes dont e.a. celui de Roger…
Une situation : près de la Rue Neuve, rue commerçante, où tout est marchandise. La montagne magique risque-t-elle d’être contaminée par la proximité grouillante ?

C’est là que se pose le combat d’aujourd’hui : Comment faire pour que dans ce monde technologique, la culture ne devienne pas marchandise ?

Plus que jamais, il faut poursuivre la formation des enseignants et viser leur épanouissement personnel, en leur donnant plus confiance en soi, en les aidant à vaincre leur timidité, en leur permettant de s’affirmer, bref en les assurant de leur valeur d’êtres humains!

Avec des spectacles choisis et des enseignants motivants, La montagne magique aide à « aller plus loin ». Le spectacle n’est pas une fin en soi : voir… faire… se former… et réaliser à son tour… Tout un programme visant la formation de citoyens heureux et solidaires.

La montagne magique souhaite également recréer des rituels… bien différents de ceux du Primarkt !!!  La porte rouge, les fauteuils rouges, la scène, l’accueil, le silence, … tant de facteurs qui aident à faire basculer vers l’imaginaire et lutter contre la violence !

D’emblée, Thierry Debroux fait le lien avec le tableau de Friedrich, utilisé fans un de ses derniers spectacles et la musique de Richter, avec une allusion particulière pour les « Quatre saisons ». Pour lui aussi,  il s’agit à tout moment de mettre l’accent sur le « Théâtre de la vie » et de semer de petites graines donnant, un jour, de belles récoltes. Il rappelle avec émotion que dans son choix de vie, Théâtre et École sont intimement liés.
En  3e maternelle, lors d’un spectacle de  fin d’année « Le livre de la Jungle », il a dû remplacer Baloo, de manière imprévue. Après avoir mangé une banane et ne sachant quoi faire avec la peau, il jeta celle-ci dans la salle : rires et applaudissements ! A ce moment précis, il sut qu’il voulait revivre ce chaud contact avec le public et devenir acteur !

Par convention sociétale, il fit d’abord des études d’instituteur primaire, enseigna un an (avec bonheur) et puis se tourna définitivement vers l’art dramatique.
L’école et le théâtre doivent être intimement liés, surtout l’école en milieu défavorisé  où les élèves peuvent ainsi trouver leur part de rêve, s’épanouir et croire en leur avenir.

Actuellement, directeur du Théâtre royal du Parc, Thierry Debroux s’efforce de développer les contacts avec l’enseignement (ici surtout secondaire et supérieur) en mettant en scène de manière actuelle, de grands classiques… en adaptant des pièces à l’actualité, en écrivant  et en faisant réfléchir.                                                               Il développe aussi le concept de « salle multiple » où enfants, parents et grands-parents assistent ensemble au même spectacle, peuvent échanger leurs impressions (souvent vécues à des niveaux différents) et s’enrichissent mutuellement.

Ainsi le jeune « emportera quelque chose qui va grandir avec lui ».

Sur cette montagne, dépassant un monde complexe, nous avons rencontré  trois magiques.
Leurs pensées furent convergentes : grâce à l’enseignement et à la culture, permettre aux jeunes de développer leurs passions et de devenir des adultes épanouis !

Merci de tout cœur !

Sous la houlette de Claude Piétrons, psychopédagogue et administrateur du Fonds, des commentaires fusent.
Ils reflètent du vécu, des anecdotes… ils expriment aussi les difficultés des enseignants quant à l’organisation du temps, des contraintes budgétaires  et sanitaires… bref, entre rêve et réalité il y une marge mais, même s’il est encore long, le chemin existe !

La soirée se termine par un verre de l’amitié bien animé !